Des origines jusqu'au XVIIIe siècle
Extrait de l'article paru dans la revue La Scena Musicale, Montréal
ORIGINES
De l'arc des chasseurs de la préhistoire jusqu'à la parution, en 1546, du premier livre comprenant des pièces de guitare par le compositeur espagnol Alonso Mudarra, l'instrument a laissé de nombreuses traces d'une évolution aussi fascinante que complexe. En Asie, en Égypte, en Perse, chez les Grecs et les Romains, on retrouve depuis des millénaires des instruments présentant certaines similitudes avec la guitare.
L'abondance des noms d'instruments de la famille des guitares et autres instruments à cordes pincées similaires donne le vertige : quintara, chitarra, ghiterna, cithara, citole, cittern, cistre, vihuela, luth, archiluth, théorbe, mandore, mandoline, chitarrino, quitaria, guiterne, quinterne, guiterre...
AU MOYEN ÂGE
En Occident, la présence de la guitare peut être observée dès le Moyen Âge. Les Maures l'introduisent au VIIIe siècle en Espagne. Bientôt on la retrouve en Italie, en France, en Angleterre... Dans un manuscrit de Tristan et Iseult (XIIe siècle), on peut apercevoir un joueur de guiterne, puis vers 1275, au temps d'Alphonse X, roi de Castille, on trouve dans le célèbre manuscrit Cantigas de Santa Maria des images d'une guitarra Moresca, d'un luth et d'une guitarra Latina. La guitarra Moresca , au corps ovale, présente certaines ressemblances avec le luth tandis que la guitarra Latina, avec ses côtés courbés, s'apparente de façon plus claire à la forme habituelle de la guitare. La guitarra Latina pourrait même être arrivée en Espagne par un autre pays européen, en passant par la Provence et la Catalogne. À partir du XIVe siècle, les preuves documentées de la présence de la guitare dans plusieurs régions d'Europe abondent. En France, dans les Flandres, en Angleterre, etc., troubadours et autres artistes la font voyager. On sait qu'elle a résonné chez le duc d'Anjou et chez le roi Édouard III d'Angleterre vers 1360, puis chez Philippe le Hardi, duc de Bourgogne. Vers 1450, Charles d'Orléans récompense deux musiciens aveugles venus d'Écosse qui jouaient de la guiterne, puis Philippe le Bon est accueilli en Autriche par des ménestrels dont certains sont joueurs de guiterne.
AU XVIe SIÈCLE
La popularité de la guitare semble avoir augmenté de façon plutôt constante jusqu'au XVIe siècle si l'on se fie au poète Bonaventure des Périers :
« Guiterne, aimable soulas
Pour le bien que fait et plaisir,
Je chante ta louange.
Touchée d'une docte main
Tu as belle puissance
Qu'il n'est homme tant inhumain
Qu'il n'ayt resjouyssance.
Par toi, tout deuil est détourné,
Par toi, gaye est la vie,
Par toi, le coeur passionné,
Par toi, l'âme ravie.
Tant que l'oeil du monde luyra
Florira la guiterne
Et ton harmonie remplira
Tous les coings de la terre. »
Cette guitare de la Renaissance est de très petite taille –à peine plus grosse que notre violon –, la rosace est ornée et de huit à dix frettes de boyau entourent le manche. Comme pour le luth ou la vihuela, ses cordes sont regroupées en choeurs formés de deux cordes de boyau accordées à l'unisson ou à l'octave, sauf la première, la chanterelle, qui est souvent simple. La guitare du XVIe siècle comporte le plus souvent quatre choeurs, plus rarement cinq ou même, exceptionnellement, six. Elle peut être jouée avec un plectre ou avec les doigts.
La facture et la technique de la guitare étant à bien des égards semblables à celles du luth et de la vihuela, les guitaristes pouvaient donc parfois être également luthistes ou vihuelistes. C'est pourquoi on retrouve quelques pièces de guitare dans les publications de maîtres luthistes comme l'Italien Melchiore de Barberi, chez les Français Guillaume Morlaye et Adrien LeRoy (ce dernier était également éditeur et imprimeur) ou encore chez les vihuelistes espagnols Alonso Mudarra et Miguel de Fuenllana. La guitare n'a toutefois jamais surpassé ni même atteint la popularité et le rayonnement du luth et de la vihuela dont le répertoire publié dès le milieu du XVIe siècle est beaucoup plus abondant.
L'importance de la vihuela de mano (jouée avec les doigts plutôt qu'avec un archet comme la vihuela de arco) dans l'évolution de la guitare est fondamentale. Exclusivement utilisée en Espagne au XVIe siècle, elle adopte une forme de plus en plus semblable à celle de la guitare d'aujourd'hui : plus grosse que la guitare Renaissance, souvent munie de six cordes doubles (parfois cinq ou sept), au lieu de quatre. Son répertoire est d'une richesse exceptionnelle. Les nombreux recueils de compositeurs tels Luis Milan, Luis de Narvaez, Alonso Mudarra, Diego Pisador, Miguel de Fuenllana, Enriquez de Valderrabano, Antonio de Cabezon, etc., contiennent aussi bien des transcriptions d'oeuvre polyphoniques (Josquin des Prés, Morales) que des compositions originales. On y trouve notamment un grand nombre de fantasias, tiento, differencias (variations) et certaines danses, dont la pavane.
La musique pour guitare de cette époque, comme celle pour le luth ou la vihuela, s'écrivait au moyen de la tablature. Les cordes de l'instrument sont figurées par des lignes parallèles qui ressemblent ainsi à une portée mais indiquent l'endroit où les doigts doivent être placés et non pas la hauteur des notes. Les signes de durée, placés au dessus de la portée, n'ont pas toujours la précision des indications de valeurs de notes de notre système de notation moderne. L'exécutant doit donc parfois déduire certains détails. Plusieurs systèmes ont été simultanément en usage (tablatures française, italienne, allemande, espagnole).
LA GUITARE BAROQUE
Au XVIIe siècle, la guitare occupe une place toujours croissante dans à peu près toute l'Europe, particulièrement en Italie, en France et en Espagne. Plusieurs instruments ont survécu, dont certains sont de véritables chefs-d'oeuvre d'ornementation utilisant parfois des matériaux exotiques comme l'ébène, l'ivoire, l'écaille et même la carapace de tortue. Comportant cinq cordes, la guitare baroque a fait l'objet d'une production particulièrement intense en Italie jusqu'à la fin des années 1630. L'école parisienne de lutherie s'est ensuite imposée au cours des années 1640 et a continué de se développer durant plusieurs décennies sous le patronage de la Cour de Louis XIV, lui-même guitariste.
Parmi les principaux luthiers du XVIIe siècle, se démarquent René et Alexandre Voboham, Joachin Tielke et nul autre qu'Antonio Stradivarius dont les deux modèles qui existent encore de nos jours se distinguent par la sobriété de leur forme et de leur ornementation.
En plus d'être utilisée pour l'accompagnement de la voix dans les arias italiennes, chansons françaises et espagnoles, la guitare à cinq choeurs a aussi été employée comme instrument de continuo. Cependant, la partie de basse devait souvent être jouée par un autre instrument plus approprié comme le théorbe ou le violoncelle. Le répertoire pour guitare seule, quant à lui, est très abondant et diversifié.
La quasi totalité de la musique pour guitare des XVIIe et XVIIIe siècle a été écrite en tablature. Parmi les nombreux compositeurs, on remarque Francesco Corbetta et Ludovico Roncalli en Italie, Santiago de Murcia et Gaspar Sanz en Espagne ainsi que Robert de Visée en France, le professeur de guitare de Louis XIV. Les deux livres qu'il nous a laissés, parus en 1682 et 1686, constituent l'un des sommets de la littérature pour la guitare baroque. Malgré la valeur musicale évidente d'un grand nombre d'oeuvres de ces compositeurs, ce répertoire est resté jusqu'à tout récemment très peu connu des amateurs de musique baroque, à l'exception des guitaristes eux-mêmes. La barrière de la notation en tablature a sans doute longtemps retardé la diffusion de ce répertoire aujourd'hui transcrit en notation moderne.